CHAPITRE XI

Quand Yan Solo ne put plus se contenir, il flanqua un puissant uppercut du gauche au garde. Il bondit, frappant l’homme à la poitrine et à l’estomac, et se blessa les phalanges sur les plaques d’armure impériale cabossées.

Les autres gardes se précipitèrent pour lui arracher sa victime. Dans les cabines d’observation de la salle commune, les contrôleurs donnèrent l’alerte.

La porte s’ouvrit, livrant le passage à quatre hommes en armes.

Chewbacca poussa un rugissement sonore et plongea. Sa dette envers Yan avait priorité sur le sens commun.

Le Corellien se battait en insultant ses geôliers. Le Wookie assomma deux hommes en leur cognant la tête l’une contre l’autre.

Les renforts marquèrent une pause ; ils hésitèrent devant la masse de muscles et de fourrure qui mettait leurs collègues en charpie.

Puis ils dégainèrent leurs armes.

Le jeune Kyp Durron sauta sur le geôlier le plus proche, le plaquant au sol Content du résultat, il roula sur lui-même pour en faire trébucher deux autres.

N’ayant rien à perdre, les prisonniers se joignirent à la bagarre, frappant sans discrimination tout ce qui se trouvait à portée de poing ou de pied. Une partie des mineurs étaient d’anciens geôliers qui s’étaient retrouvés du mauvais côté lors de la mutinerie de Moruth Doole…

Les autres les haïssaient.

Des rafales d’énergie projetèrent Chewbacca au sol. Le Wookie grogna, tenta de se relever.

L’alarme mugissait, stridente.

Des renforts surgirent.

– Assez ! hurla Boss Roke dans le micro qu’il portait au col. Arrêtez, ou nous vous assommons ! Ensuite, nous vous disséquerons pour voir ce qui ne fonctionne pas dans vos cerveaux !

Un rayon laser abattit deux mineurs.

Yan se libéra des gardes et regarda ses phalanges. La haine continuait de submerger son esprit ; il se fit violence pour se calmer.

– Tout le monde sur sa couchette ! Immédiatement ! ordonna Roke.

Kyp Durron se releva. Quand son regard croisa celui de Solo, il lui sourit. Quel que soit leur châtiment, Kyp s’était amusé.

Pas très rassurés, deux gardes soulevèrent Chewbacca et le portèrent sur leurs épaules tandis qu’un troisième le tenait en joue. Le Wookie tremblait sous l’effet du rayon paralysant. Les hommes le jetèrent dans une cellule et activèrent le champ de force avant qu’il recouvre l’usage de ses membres.

Les yeux brillants de colère, Yan suivit Kyp jusqu’aux couchettes de métal. Les gardes s’époussetèrent, les foudroyant d’un regard mauvais. Le Corellien se hissa sur son lit.

Kyp grimpa sur la couchette superposée et pencha la tête :

– Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui a provoqué ta colère ?

Un homme de la sécurité fit résonner une matraque sur les montants en métal des lits :

– Silence !

Durron s’allongea ; Solo l’entendit encore bouger.

– Je suis un peu frustré, c’est tout, murmura-t-il. Je viens de réaliser que mes gosses rentraient aujourd’hui à la maison. Je n’étais pas là pour les accueillir.

Avant que Kyp puisse répondre, Boss Roke activa le champ générateur de sommeil. Résistant encore, Solo fut plongé dans un univers de cauchemars.

 

Planté devant l’accès de l’annexe de traitement des épices, Moruth Doole plaça une lentille à infrarouge sur son œil mécanique.

La récente transmission de la femme de Solo le rendait très nerveux. Si la Nouvelle République lui mettait le grappin dessus… Dans la chaude obscurité des pièces réservées au traitement du produit brut, il se détendit. Voir peiner à la tâche les esclaves aveugles et impuissants le remplissait d’aise.

Les lourds battants métalliques se refermèrent avec un bruit mat, occultant toute lumière. L’entrée secondaire s’ouvrit sur une salle rappelant une matrice luisante. Inspirant profondément, Doole huma l’humidité des formes de vie qui l’occupaient.

Les silhouettes orange mal définies s’échinaient sur la ligne de production. Effrayées par sa présence, elles se crispèrent. Doole se sentit mieux. Il s’intéressa au rendement.

Des centaines de larves aveugles maniaient les cristaux délicats au moyen de quatre appendices effilés. Elles enveloppaient les segments fibreux de papier opaque et les chargeaient dans des caisses spéciales qui seraient convoyées par navettes sur la lune de Kessel. En l’occurrence, les méthodes de Doole s’avéraient nettement plus efficaces que celles du contrôle impérial.

Du temps de l’Empire, la courte amplification télépathique que provoquait le glitterstim en avait fait une substance sous haute surveillance. D’autres planètes produisaient une variété plus faible d’épices de ce genre, parfois appelée ryll minéral, mais Kessel était l’unique lieu d’exploitation du glitterstim brut. L’Empire avait surveillé de près la production tant convoitée, utilisant les épices à des fins d’espionnage et d’interrogatoires, ainsi que pour s’assurer de la loyauté de ses agents.

Le marché noir avait toujours ponctionné lourdement la production : amants blasés en quête de sensations fortes, amoureux désireux de partager une éphémère communion spirituelle, artistes cherchant l’inspiration divine, investisseurs voulant des informations en sous-main, intermédiaires avides de coups tordus pour duper leur riche clientèle… Les possibilités étaient nombreuses. Maints contrebandiers livraient leur marchandise à Jabba le Hutt et à d’autres gangsters de la galaxie.

Mais l’Empire n’était plus dans la course. Doole avait compté couler des jours paisibles…

… Jusqu’à l’irruption de Solo.

Depuis le début, il redoutait un appel de Coruscant. Il avait mille fois retourné des réponses passe-partout dans sa tête. Peut-être avait-il fait montre de trop de zèle en répondant aux questions que le ministre Organa Solo aurait pu poser s’il lui en avait laissé le temps…

Skynxnex l’avait rassuré ; il leur suffisait de jouer le jeu. Croupissant au fin fond des mines, Solo et le Wookie ne seraient pas retrouvés de sitôt. Mais quelque chose pouvait toujours mal tourner. Ne valait-il pas mieux les faire exécuter et éliminer ainsi tous les risques ?

Doole passa devant les files de larves au travail. Avec l’infrarouge, sa vision n’était pas plus mauvaise qu’avec l’œil mécanique. Serviles, les espèces de chenilles s’inclinèrent sur son passage. Enlevées dès la naissance par Doole, elles voyaient en lui leur dieu.

 

Les mains sur les hanches, Boss Roke se tenait au centre de la salle commune, un sourire malsain sur les lèvres.

– Nous avons perdu une autre équipe hier : un garde et quatre mineurs, dans les nouveaux tunnels. (Il marqua une pause, le temps que la nouvelle fasse son effet.) Les échantillons indiquent qu’il s’agit probablement du gisement le plus important découvert à ce jour ; je refuse de laisser l’incompétence et la superstition me priver de mon profit.

« J’ai besoin de volontaires pour descendre avec moi… Et si personne ne se désigne, je le ferai moi-même ! (Le contremaître patienta.) Ne parlez pas tous en même temps, surtout !

Son regard balaya la salle.

L’observant, Solo comprit qu’il serait choisi parce qu’il avait participé à la bagarre de la veille. Mais il s’en moquait… surtout si ce qu’il soupçonnait s’avérait exact.

Plutôt que laisser à Roke la satisfaction de le désigner, Yan fit un pas en avant.

– Je suis volontaire ; c’est toujours mieux que se retrouver en fin de journée avec de la boue sous les ongles.

Visiblement surpris, le contremaître le fixa, l’air soupçonneux.

– Moi aussi, dit Kyp Durron, qui rejoignit Solo.

L’ancien contrebandier rayonnait, mais il n’osait pas le montrer pour l’instant. Plus tard, il expliquerait son plan à son jeune compagnon.

Chewbacca ulula quelque chose au sujet de la santé mentale de Solo.

– Qu’a-t-il dit ? demanda Roke.

– Il se porte volontaire, expliqua Yan.

Le Wookie secoua la tête sans rien ajouter.

– Il me faut encore un volontaire, déclara Boss Roke. Toi, Clorr (Il désigna un ancien geôlier qui s’était battu la veille.) J’emmène un garde et vous quatre. Habillez-vous et partons.

Une chose était sûre : Roke ne perdait pas de temps.

Yan avait maintenant l’habitude d’enfiler la combinaison thermique et d’ajuster son masque. Chewbacca paraissait toujours aussi ridicule avec la troisième manche qui pendouillait lamentablement sur sa poitrine.

Kyp et lui regardaient Solo, se demandant ce qu’il avait en tête. Le Corellien leur fit comprendre que les explications viendraient plus tard.

Selon toute évidence, il avait un plan.

Nerveux à l’idée de suivre son patron dans les galeries où tant d’hommes avaient disparu, un garde mit son blaster en bandoulière.

– Allons-y, ordonna Boss Roke.

Les quatre « volontaires » et le garde se tassèrent dans un wagonnet.

– Hé, demanda Solo, pourquoi ne pas nous filer des lunettes infrarouges ? S’il y a vraiment quelque chose dans les tunnels, je préfère voir où je mets les pieds !

Roke mit sa visière et se tourna vers lui :

– Vous êtes sacrifiables. Pas de lunettes !

Il éteignit les lumières et lança le wagonnet dans le tunnel.

– Ça aurait pu marcher, grommela le Corellien, mettant son masque en place.

Couvert par le sifflement du vent dans les galeries, Kyp se pencha vers lui :

– Dis-moi dans quel guêpier tu nous conduis.

Yan haussa les épaules :

– J’ai une idée ; si je ne me trompe pas, nous pourrons nous échapper de cet enfer.

Chewbacca émit un grondement sceptique.

– Réfléchis, Chewie. Des gens disparaissent, toujours au même endroit… Et s’ils avaient trouvé un moyen de s’évader ? Ils explorent de nouveaux tunnels, dans des zones inconnues, et soudain des types se volatilisent.

« Toi et moi, nous savons qu’il existe des puits abandonnés par les mineurs pirates qui parvenaient à tromper la vigilance des Impériaux. Cette planète est truffée de failles donnant accès aux tunnels à épices.

Solo marqua une pause, espérant que ses compagnons avaient compris :

– Les équipes de Roke se composent généralement d’un garde et de cinq prisonniers aveugles. Si ces derniers ont trouvé une sortie vers la surface leur permettant d’y voir quelque chose, ils ont pu se débarrasser du garde pour prendre la poudre d’escampette.

« Une fois le passage découvert, Roke le fera bloquer et nous n’aurons pas d’autre chance. Si nous voulons nous évader, si je veux revoir Leia et mes gosses, je dois essayer. Ce pari vaut le coup.

– C’est un risque calculé, répondit Kyp. Je croupis ici depuis si longtemps que je suis prêt à tout pour sortir.

Chewbacca acquiesça avec moins d’enthousiasme.

 

– Suivez-moi, dit Boss Roke. Je veux avoir un prisonnier devant moi et le garde pour surveiller nos arrières.

Yan entendit qu’on poussait quelqu’un, qui trébucha. Etait-ce Kyp ?

Non, à en juger par le gémissement, il s’agissait de Clorr, l’ancien gardien.

Roke fouilla dans son sac et en sortit un petit appareil. Solo entendit un déclic et des bruits électroniques.

C’était une sorte de détecteur.

– Comme nous le pensions, nous sommes entourés d’épices, expliqua le contremaître. Le gisement semble plus important devant nous. Avancez.

Suivi par Boss Roke, Clorr trébucha sur une pierre. Yan marchait à l’aveuglette ; il sentit Kyp le saisir par la taille et il entendait la respiration de Chewbacca.

A mesure qu’ils s’enfonçaient dans les ténèbres, il faisait de plus en plus froid.

Les sons du détecteur de Roke changèrent :

– Ce sont les veines les plus denses que j’ai jamais vues, s’émerveilla le contremaître. Vous n’allez pas chômer !

Ils continuèrent d’avancer, guidés par les bips du détecteur. En dehors du bruit de leur pas, le silence régnait.

Soudain, Solo crut entendre un cliquetis, un peu plus loin devant eux. Quelque chose de massif approchait lentement. Clorr grommela ; Roke le poussa en avant.

– Le détecteur a repéré un gisement important d’épices après ce tournant.

Yan capta à nouveau le bruit étrange. Il ne provenait pas d’un membre du groupe…

Cela ressemblait au son d’une pointe métallique frottant contre une paroi de verre.

Soudain, Clorr hurla.

– Hé ! s’écria Roke.

Le prisonnier hurla de plus belle ; puis ses cris s’estompèrent, comme si quelque monstre l’avait enlevé pour le tirer dans sa tanière.

– Où sont…

La question du contremaître s’acheva sur un cri.

Solo l’entendit revenir vers eux en courant.

Il entraîna Kyp et Chewbacca avec lui :

– Venez, faites gaffe !

Boss Roke percuta Yan et tomba à la renverse. Le Corellien réussit à ne pas perdre l’équilibre. Le contremaître semblait paniqué.

– Demi-tour ! hurla Solo à Kyp. Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il à Roke.

Le cliquetis se rapprocha.

Roke saisit Solo par la jambe. Yan se débattit.

– Lâche-moi ! s’écria-t-il. Il faut sortir d’ici !

Avant que le contremaître le lâche, quelque chose l’attrapa et le tira en arrière. Roke voulut maintenir sa prise, mais ses doigts glissèrent sur la tenue thermique.

Hurlant de terreur, il fut entraîné dans le tunnel.

Les ténèbres étaient totales.

– Courez ! cria Solo.

Rugissant, Chewbacca frappa le garde de toutes ses forces. Kyp suivit le Wookie, sautant par-dessus l’homme assommé. Solo n’eut pas cette adresse. Il se prit les pieds dans le corps et s’étala de tout son long.

Aveugle et désespéré, le Corellien s’empara des lunettes infrarouges du garde.

Derrière lui, le cliquetis de la créature monstrueuse approchait.

Ayant réussi à arracher sa visière au soldat, Solo se releva. Il avait besoin de voir pour retrouver les wagonnets et s’enfuir.

– Cours, Chewie ! Tout droit ! Assure-toi que Kyp te suive !

Il mit les lunettes. Etait-ce une armée de créatures, ou un être doté d’une multitude de pattes ?

Grâce aux lentilles infrarouges, il distingua la silhouette du garde et les formes brillantes de Chewbacca et de Durron qui prenaient la fuite.

Soudain, le garde poussa un long hurlement.

Yan se tourna dans sa direction, mais il ne vit rien d’autre dans la noirceur du tunnel…

Aucune silhouette…

Aucune trace infrarouge…

Rien de vivant…

Comme poignardé dans le dos, l’homme se figea. Horrifié, Solo vit la forme noire d’une longue patte effilée passer devant l’aura rougeoyante du garde.

Fou de terreur, l’homme se débattit.

Soudain, il retrouva son blaster, oublié dans la panique ; il ouvrit le feu.

La rafale éclaira un instant la caverne, dévoilant une chose munie de multiples pattes, une masse grouillante de dents, de pinces acérées et d’yeux.

La créature absorba la luminosité, plongeant à nouveau le tunnel dans les ténèbres.

Le garde fut soulevé dans les airs. D’autres ombres enveloppèrent son corps.

Alors que Yan prenait la fuite, il pivota une dernière fois et vit la trace infrarouge de l’homme s’estomper à mesure que son cadavre refroidissait. Quel qu’il soit, le monstre semblait se nourrir d’énergie, de chaleur corporelle et de tout ce qu’il pouvait trouver dans les souterrains.

– Continuez de courir ! cria Solo à ses amis. Le wagonnet est droit devant vous. Chewie, grouille-toi !

Le Wookie se cogna à la coque métallique du véhicule, puis à Kyp.

Les deux prisonniers grimpèrent dans le wagonnet.

Le Corellien entendait toujours le cliquetis des pattes de la créature. Il était le suivant sur le menu du monstre.

Entre-temps, Chewie essayait de comprendre comment fonctionnait le véhicule.

Yan courut à toutes jambes.

Derrière lui, la créature accélérait.

Il atteignit le wagonnet.

– Appuie sur n’importe quel bouton, Chewie ! Ce n’est pas le moment de faire le difficile !

Le Wookie écrasa les commandes de ses mains poilues.

Le véhicule fit demi-tour pour reprendre la direction des niveaux supérieurs.

Le cliquetis se fit plus frénétique. Le wagonnet gagna de la vitesse, mais la bête était plus rapide.

Malgré les lentilles infrarouges, Solo ne la voyait toujours pas.

Quelque chose percuta le wagonnet, qui racla contre la paroi avec des gerbes d’étincelles…

Le véhicule accéléra.

Il semblait que le monstre ne les suivait plus.

Le Corellien savait que le wagonnet antigrav était programmé pour retourner automatiquement à la salle commune.

Chewbacca gémit.

– Qu’as-tu vu ? demanda Kyp, pantelant.

– Je ne sais pas… Rien que j’aie croisé auparavant. Le Wookie rugit de soulagement.

Solo soupira :

– Je suis d’accord. Ce n’était pas une de mes meilleures idées.